Rennes le chateau
Des Curés de Rennes les Bains
Lorsque François Cauneille décède en 1804 d'une grave maladie, il a été remplacé depuis peu par le curé Jean Sébastien Moulines. De cet ecclésiastique, nous ne connaissons rien si ce n'est qu'il resta sur la paroisse de Rennes-les-Bains plus d'une trentaine d'années. J'ai tenté d'en connaître un peu sur lui. Un document va m'y aider, il s'agit du recensement de la population de RlB de 1836 où l'abbé Moulines, âgé de 70 ans, semble vivre avec le jeune Baptiste Moulines, 20 ans.
En consultant le registre de l'état civil de l'année 1835, j'ai découvert qu'un dénommé Jean Sébastien Moulines (un homonyme qui n'en doutons pas est un parent de l'ecclésiastique) est décédé sur la commune le 26 août :
Celui-ci est âgé de 24 ans et est originaire de Saint-Ferriol près du Granès, il est le fils de Pierre Moulines ( 1783-1850), cultivateur qui deviendra maire de la commune et d' Anne Rougé. J'ai donc suivi cette piste dans l'espoir de retrouver la trace de notre curé de RlB. Baptiste Moulines, qui habite avec l'abbé des Bains-de-Rennes, est né lui aussi à Saint-Ferriol en 1816, c'est un des autres fils de Pierre Moulines. Ce dernier est né de l'union de Barthélémy Raymond Moulines (1760-1829) et de Elisabeth Doumergue. Après quelques recherches, je découvre que Barthélémy Moulines est le frère de Jean Sébastien Moulines qui est lui aussi né à Saint-Férriol en janvier 1863 :
Ils sont les fils de Pierre Moulines (1738-1812), meunier et de Marie Canavi.
Même si nous connaissons désormais sa famille, son parcours religieux nous reste pour autant inconnu. Dans leurs ouvrages respectifs, les abbés Lasserre et Sabarthès ne le mentionnent pas.
C'est aux Archives départementales de l'Aude que j'ai trouvé un document qui va nous en apprendre un peu plus sur ce curé.
Il s'agit de son certificat d'amnistie qui lui a été délivré par le préfet de l'Aude le 25/05/1802. Amnistie qui est accordée pour fait d'émigration. Pour l'obtenir, les prêtres réfractaires revenus d'exil devaient prêter serment d'être fidèle au gouvernement établi par la Constitution. Ce certificat permettait aussi aux prêtres de rentrer en jouissance de leurs biens non-vendus. Avec ce certificat d'amnistie délivré finalement le 27/01/1804 par la préfecture du département, Jean Sébastien Moulines put gagner sa nouvelle cure aux Bains-de-Rennes.
Par ce certificat, on sait désormais qu'il a été prêtre (en fait vicaire) à Camurac dans le pays de Sault
Arrivé en janvier 1789, il quittera Camurac après le 24 décembre 1791, date du dernier acte qu'il signe dans le registre paroissial, avant de prendre la route de l'exil.
L'abbé Moulines sera remplacé temporairement en 1838 par Guillaume Clergue puis par Jean Vié.
Cette enquête sur le curé des Bains-de-Rennes a été productive. Nous avons découvert que Jean Sébastien Moulines était un véritable enfant de la baronnie de Rennes et qu'il a dû comme les prêtres réfractaires du diocèse d'Alet s'exiler pour échapper aux événements de la Révolution. On peut émettre l'hypothèse que les ecclésiastiques de la baronnie, A. Bigou (curé de RlC), F. Cauneille (curé de RlB), H. Pugens (curé de Serres), V. H. Coronat (curé de Saint-Ferriol) et J.S. Moulines (originaire de Saint-Ferriol), ont pu se croiser et se côtoyer durant leur exil forcé.
Léa Rosi
décembre 2018
DOMINO VIE RECTORE
PETRUS DELMAS FECIT
1856
Les 3 croix de Rennes-les-Bains font partie intégrante des monuments qui intriguent tant les chercheurs d'hier que ceux d'aujourd'hui. Bon nombre d'interprétations et d'hypothèses sur la question ont été évoquées depuis des décennies. Alors pourquoi, me direz-vous, reparler de ces 3 croix ? Tout simplement parce qu'il est toujours bon de remettre les choses à plat, de réétudier les pièces du dossier avec un regard neuf, hors cadre établi, et peut-être entrevoir de nouvelles possibilités, là où l'on ne voyait plus qu'une impasse. Pour ce faire, commençons par regarder à nouveau les 3 croix dites « Delmas ».
Croix a l'entrée du village de Rennes les Bains |
Croix sous le porche de l'église de Rennes les Bains |
Croix du jubilé sur la route de Montferrand |
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Chacune de ces croix portent une inscription qui lui est propre :
Avec un socle à forme identique, les 2 premières croix portent la date de 1856 alors que la dernière, celle du jubilé, est datée de 1854. Toutes les trois portent le nom de Delmas, 2 avec le prénom Pierre et la dernière, la croix du jubilé, indique un P majuscule et en lettres plus petites RE, raccourci pour Pierre. Maintenant, posons-nous la question qui s'impose d'elle-même : qui est donc ce Pierre Delmas ? Y-a-t-il un lien avec les abbés Delmas qui ont officié à RlB au XVIIIème siècle ?
Pierre Delmas.
Certains vous diront qu'il n'a jamais existé, d'autres soutiendront qu'il s'agit d'un prêtre... En travaillant sur la famille De Fleury, il y a quelques mois, j'ai trouvé dans le recensement de la population de 1872, le seul Pierre Delmas qui ait existé sur la commune de RlB depuis le début du XIXème siècle :
Pierre Delmas, alors âgé de 81 ans, est originaire de Brenac. Très rapidement, j'ai retrouvé sa trace. En fait, il est né le 7 janvier 1789 sous le patronyme complet de Jean Henry Laurent Pierre Delmas. Ses parents ne nous sont pas totalement inconnus... Il s'agit d'Augustin Delmas et d'Angélique Cauneille , l'une des sœurs de François Cauneille qui fut curé de RlB de 1780 à 1804. C'est d'ailleurs François Cauneille qui les maria aux Bains de Rennes en 1786 en présence d'Antoine Bigou :
Son père Augustin a été meunier et aubergiste à Brenac. Il a aussi occupé le poste de maire de la commune après la Révolution Française. A quelle date, Pierre Delmas est venu à RlB ? Et pourquoi faire ? Adolescent, est-il venu rejoindre son oncle, en fin de vie, ou sa tante Mariette qui habitait RlB depuis qu'elle avait épousé Nazaire Jaffus en 1787 ? Nous n'avons pas de réponse à ces questions. Par contre, nous savons que Pierre, âgé de 30 ans, a épousé Catherine Saint-Loup (originaire des Bains) le 10 novembre 1818 à RlB :
On apprend sur l'acte de mariage qu'il est, de profession, meunier. Dix huit ans plus tard, sur le recensement de la population de RlB de 1836, il sera déclaré comme boulanger.
Maintenant que nous avons établi que Pierre Delmas existait bel et bien sans être pour autant prêtre, nous découvrons qu'il est devenu, à l'âge de 63 ans, maire de RlB entre novembre 1852 jusqu'en 1861. Il succède à Baptiste Jaffus qui le remplacera à nouveau par la suite. Le mandat de Pierre Delmas correspond sans aucune ambiguïté possible à la date indiquée sur les socles des trois calvaires, c'est donc bien lui dont il s'agit. Il reste pour le coup à comprendre pourquoi Pierre Delmas a mis en place ces trois croix sur Rennes-les-Bains.
En consultant les registres d'état civil sur la période de mandat de Pierre Delmas, une curiosité nous attend : il est indiqué sur les actes de mariage « faute de maison commune » (= mairie de l'époque). La chose nous intrigue tant que nous menons l'enquête pour découvrir pourquoi il n'y a plus de « maison commune » puis de « mairie » à RlB de la fin de l'année 1852 à fin 1856.
En vain, nous nous ignorons les raisons de cette fermeture de 3 ans de la maison commune. Il faudra attendre l'année 1857 pour que la mairie soit à nouveau opérationnelle. En mai 1857, Pierre Delmas célèbre alors le premier mariage en mairie.
C'est seulement en 1868 que l'édification de l'école-mairie de RlB sera lancée.
Cet aparté, qui pourrait paraître anecdotique, se révèle digne d'intérêt quand on comprend que lorsqu'à la fin de l'année 1852, il n'y a plus de « maison commune », Pierre Delmas prend la décision de se transporter à la porte d'entrée de l'église pour y célébrer les mariages. Extrait d'un acte de mariage de l'année 1854 :
Munie de cette nouvelle information, je vous propose de nous transporter, à l'invite de Pierre Delmas, sous le porche en face de l'entrée de l'église et d'examiner l'énigmatique inscription de la croix :
IN
HOC SIGNO
VINCES
DOMINO VIE RECTORE
PETRUS DELMAS FECIT
1856
Tout s'éclaire alors avec simplicité : la mise en place de cette croix par Pierre Delmas, avec l'accord évident de Jean Vié, desservant de la paroisse depuis 1840, marque à la fois l'emplacement des pouvoirs spirituels et temporels. Si on prend le terme DOMINO comme maître et RECTORE, non comme recteur, mais qui découle du mot REGO c'est-à-dire celui qui gouverne ou dirige, ainsi la deuxième partie de l'inscription peut se traduire par « Vié, maître de cette maison (l'église comme centre spirituel), la croix édifiée par Pierre Delmas, celui qui gouverne la commune (pouvoir temporel) 1856 ». La croix représente donc la reconnaissance dans un quasi même lieu de chacun de ces 2 pouvoirs et de leurs détenteurs respectifs.
Cette interprétation est confirmée lorsque nous trouvons dans les mêmes registres d'état civil une autre variante de « faute de maison commune ». Là, Pierre Delmas change de localisation et se transporte, pour remplir sa charge de maire officier d'état civil, dans sa propre maison :
Et où se trouve la maison d'habitation de Pierre Delmas ? Pour le savoir, consultons le recensement de la population de RlB en 1856 :
Il s'agit de la première maison à l'entrée du village, c'est-à-dire à l'emplacement exact du futur grand Hôtel de la Reine :
Soit juste en face de l'implantation de la croix :
En transportant ses fonctions de maire officier de l'état civil à son domicile, Pierre Delmas semble avoir voulu apposer sa pierre en faisant construire ce nouveau calvaire qui réunit, comme la croix à l'entrée de l'église, à la fois le pouvoir temporel puisqu'il officie chez lui « publiquement portes ouvertes » et son attachement spirituel avec la croix surmontant la pierre car ne l'oublions pas en tant que neveu de François Cauneille, ancien curé de RlB, Pierre Delmas a, n'en doutons pas, une conviction religieuse sans faille. La troisième croix, celle se trouvant sur la route qui mène à Montferrand près du lavoir, le prouve. Légèrement antérieure aux 2 croix déjà étudiées, toute la portée de cette croix réside dans l'inscription :
JUBILE
DE 1854
PRE DELMAS
Le mot jubilé renvoie immédiatement au caractère religieux du monument. Dans l'église catholique, depuis 1400, le jubilé est une période de pardon, de conversion et d'efforts spirituels ayant lieu tous les 50 puis 25 ans, consacrée à la rémission par la pénitence des peines temporelles dues aux conséquences du pêché. Des jubilés ont été célébrés au cours de l'histoire notamment lors de grandes épidémies comme la grande peste. Lorsqu'on se penche sur l'actualité de l'année 1854, on apprend que la France est touchée par une épidémie de choléra qui provoqua 143 000 morts sur tout le territoire et cela, alors que la précédente datait seulement de 19 ans (1835). Le département de l'Aude n'est pas épargné, on compte 4966 décès en quelques mois dont 525 à Carcassonne avec un pic saisissant durant la période estivale. Le fléau s'affaiblit avec l'arrivée du froid comme en témoigne cet article sur la situation de Quillan paru dans Le Courrier de l'Aude du 22 novembre 1854 :
https://culture.cr-languedocroussillon.fr/ark:/46855/OAI_FRB110696201_7150_frb110696201_7150_1854_0007/v0003.simple.highlight=chol%C3%A9ra.selectedTab=thumbnail
On imagine, dès lors, une procession religieuse menée par Jean Vié à partir de l'église de RlB pour se rendre devant cette croix du jubilé rappelant ainsi l'importance du pardon des pêchés dans un tel moment. Pierre Delmas devait se trouver aux côtés du prêtre pour rappeler cette alliance du religieux et de l'homme du monde pour faire face à l'épidémie de choléra.
En édifiant ces 3 croix et en y gravant son nom, Pierre Delmas marque de son empreinte le territoire de Rennes-les-Bains comme l'a fait auparavant son oncle François Cauneille ainsi que tous ses prédécesseurs ecclésiastiques qui se sont succédé dans la paroisse. Une longue tradition qui a perduré, à travers le temps, d'Antoine Delmas à Henri Boudet tout en gardant intact son Mystère.
Léa Rosi
avril 2018