La Déesse-Cavalière de Rennes-le-Château
En septembre 2020, une étude relative à la dalle dite « du Chevalier » découverte lors des travaux réalisés par l’abbé Bérenger Saunière dans l’église de Rennes-le-Château en 1886 avait été publiée sur le site http://www.renne-le-chateau.com/pier_gra/pier_gra.html.
Ce petit travail ne concernait que la partie droite du bas-relief et j’avais émis l’hypothèse que le personnage à la lance pouvait figurer le fameux « Héros-Cavalier » thrace, tel que souvent représenté sur les sculptures antiques.
Diverses représentations du Héros-Cavalier thraco-phrygien
L’état de conservation de la dalle n’était guère fameux après le traitement que lui avait infligé l’abbé Saunière, mais la tentative de restauration opérée à partir de 1956, lors du transfert de la dalle au dépôt lapidaire de Carcassonne, se révéla fatale au vénérable monument puisqu’elle en aura fait définitivement disparaitre certains éléments symboliques majeurs.
Heureusement, quelques photographies du bas-relief furent effectuées, avant l’envoi à Carcassonne, par Pierre Embry, le Conservateur des Antiquités et Objets d’art de l’Aude. Et ces clichés permettent de mettre en évidence des éléments sculptés désormais disparus... mais néanmoins fort intéressants.
Dalle en son état actuel, après « restauration » - Photo Jean Brunelin
Dalle avant « restauration » - photo Pierre Embry
On notera que, outre la détérioration du museau de l’animal (cheval), d’une partie de ses pattes avant et la disparition de l’auge dans laquelle il semblait boire, c’est tout le relief sculpté situé à gauche de l’épaule du personnage qui a disparu après la calamiteuse restauration.
Une partie qui apportait pourtant des informations susceptibles d’identifier le personnage qui figure « en pendant » du Héros-Cavalier sur la plaque de chancel découverte par le curé de Rennes-le-Château. En effet, on peut distinguer un curieux arc de cercle en forme de « D » sur l’épaule du cavalier ainsi qu’un étrange objet de forme circulaire au bout de son bras gauche.
Deux éléments qui apparaissent clairement sur la représentation de la déesse celte Épona qui figure sur un bas-relief découvert dans la ville de Kempten en Allemagne.
Sculpture d’Épona - Parc archéologique de Cambodunum à Kempten
À l’instar du Héros-Cavalier, les représentations de la déesse Épona répondent à des canons artistiques bien spécifiques que l’on retrouve sur la quasi-totalité des monuments archéologiques découverts jusqu’à présent... et qui apparaissent également sur la partie de la dalle dite « du Chevalier » de Rennes-le-Château.
Ainsi, la déesse est presque toujours figurée montant une jument « en amazone », sans selle ni harnachement puisque Épona ne dirige pas sa monture, qui marche seule, se contentant de faire face au fidèle « puisqu’elle incarne la destinée en marche, la naissance, la vie et la mort qui suit le mouvement et les phases de la lune » ainsi que l’indique Gérard Poitrenaud dans son article : « Notices sur la déesse gauloise Épona ».
De plus, Épona est toujours vêtue d’une longue tunique, dont le drapé se soulève parfois autour de son corps, caractérisant ainsi un mouvement céleste car, ainsi que le précise l’archéologue et historien français spécialiste de la religion gauloise Jean-Jacques Hatt : « La draperie flottante est prêtée par les Romains aux divinités du ciel ».
Enfin, elle est souvent porteuse d’une patère, une coupe peu profonde qui était utilisée dans l’Antiquité. Hors, il apparait assez nettement que de tels éléments symboliques apparaissent à la fois sur le bas relief d’Épona de Kempten et sur la pseudo-dalle du Chevalier de Rennes-le-Château.
Drapé de la tunique sur l’épaule et patère dans la main gauche
Épona, grande déesse des Celtes, réunit en elle les traits d’une Mère des Dieux de l’époque archaïque pouvant être assimilée à Artémis, Déméter ou Cybèle. Ses attributs chtoniens et lunaires sont à mettre en correspondance avec son parèdre masculin (fils-amant) doté quant à lui de pouvoirs solaires et célestes. Ainsi que l’indique Gérard Poitrenaud dans son étude : « Ces éléments conduisent à l’hypothèse que la déesse Épona (« la jument » en gaulois) est la « matrice » qui procure l’abondance sur la terre en s’unissant chaque année avec le « Père souverain, grand cavalier céleste qui a créé l’étincelle de toute vie ». La déesse est la mère, l’épouse et la fille du dieu fécondateur. Elle est une Mère Primordiale qui correspond au Père Universel, comme elle primordial et éternel, de même que Jupiter, père des dieux, est le fils, le frère et l’époux de Junon. La Déesse-Mère apparaît à la fois comme femme et jument, tandis que son parèdre s’incarne sous la forme d’un jeune garçon ou d’un poulain. On doit en déduire, avec Sterckx(Claude Sterckx est un celtologue belge), que le Dieu-Père prend également la forme d’un cheval ou d’un cavalier ».
Il n’est donc pas fortuit, à mon sens, que le bas-relief de Rennes-le-Château fasse coïncider, sur la même composition artistique, la déesse Épona avec le Héros-Cavalier puisqu’elle ne constitue, en réalité, que la variante féminine de l’idée mythique incarnée par le cavalier.
Une hypothèse renforcée par le Docteur Jean Fromols dans son étude de 1958 intitulée : « Découverte d’une plaquette danubienne à Port-sur-Saône » (1958) où il indique : « La figuration du Dieu cavalier danubien thrace semble avoir servi aux autochtones gallo-romains comme modèle d’une Épona celtique ressuscitée après la fin du 2° siècle en même temps que d’autre dieux de la théogonie celtique ».
Si la théorie que j’avance au sujet de la dalle « au Chevalier » de Rennes-le-Château s’avérait plausible, voire probante, se posera alors la question de savoir pourquoi de telles divinités païennes figuraient sur une plaque de chancel carolingienne installée dans une église du Razès.
Source : « Notices sur la déesse gauloise Épona » - Gérard Poitrenaud. Article issu d’un chapitre de l’étude « Cycle et Métamorphoses du dieu cerf » - Toulouse : Lucterios, 2014, pages 265-273.
Aronnax - 8 avril 2021 |