Le Héros-Cavalier de Rennes-le-Château
Dalle après la « restauration » de 1956
Dalle avant restauration
Autre photo avant restauration
On constate que les prétendus « restaurateurs » ont fortement dégradé et modifié le motif initial du bas-relief, ôtant certains éléments symboliques et lui faisant perdre, de fait, toute sa signification primitive.
Ci-dessous, un exemple parmi d’autres du « sabotage » : l’animal figurant sur la partie gauche et qui ressemblait à un bovidé est devenu… un cheval. Le « restaurateur » a transformé une partie de l’abreuvoir originel en décidant, arbitrairement, de prolonger le museau.
La partie gauche de la dalle (qui ne serait en réalité qu’une plaque de chancel, c'est-à-dire un élément de clôture qui séparait le chœur de la nef dans les églises paléochrétiennes) est particulièrement abîmée et c’est donc sur le « panneau » au Chevalier que je vais tenter de donner quelques informations.
J’écris « Chevalier » au singulier car il est manifeste qu’un seul cavalier figure sur cette partie du bas-relief, les deux objets qu’il porte en mains constituant l’intérêt essentiel de la sculpture.
La partie droite - Le Cavalier à la lance
Comme on peut le constater sur la photographie avant « restauration », le cavalier de Rennes-le-Château tient en mains deux objets bien particuliers : une lance et ce que je nomme - faute de mieux - le « globe ».
Et, précisément, ces deux attributs symboliques sont associés à une antique divinité indo-européenne, un Dieu thrace nommé : « Héros - Cavalier ».
Le « Heros equitans » est une divinité majeure que l’ont trouve très largement représentée sur des bas-reliefs trouvés dans les Balkans, en Anatolie et dans les régions bordant le Danube. Il s’agit d’un Dieu solaire, aux pouvoirs et fonctions multiples mais qui est avant tout une divinité tutélaire protectrice.
Le Héros-Cavalier thrace - ou plutôt thraco-phrygien - fut, par la suite, assimilé aux dieux Attis, Apollon, Asclepios, Sabazios et Mithra. Il était, en outre, très souvent associé à une parèdre revêtant les attributs de la Grande Mère des Dieux (Magna Mater) dont Cybèle-Rhéa sera la figure majeure.
Voici quelques représentations du Héros-Cavalier thrace récupérées au fil du net. La similitude d’attitude sur les centaines de bas-reliefs et gravures recensés est assez frappante et elle constitue un « marqueur » de cette illustre personnalité érigée au rang de divinité.
L’animal poursuivi par le Dieu Chasseur est, tour à tour, un serpent, un sanglier ou un lion mais sa représentation est caractéristique par delà les régions et les époques… profil droit et lance brandie. Car la lance reste l’arme privilégiée du Héros-Cavalier thrace même si, plus tard, lors de son « importation » dans le monde occidental chrétien, elle sera souvent remplacée par l’épée.
Mais, outre la lance, un autre objet, beaucoup plus énigmatique, est représenté dans la main gauche du cavalier de Rennes-le-Château, juste à côté de sa tête.
Cet objet sphérique apparait également sur certains bas-reliefs orientaux ou balkaniques où est figuré le Héros-Cavalier. Comme, par exemple la sculpture du musée national d’histoire de Sofia (Bulgarie) où le cavalier est précisément identifié
Bas-relief du Héros-Cavalier thrace – Musée d’histoire de Sofia, Bulgarie
J’ai longtemps pensé qu’il pouvait s’agir d’une phiale (ou patère), c’est-à-dire une coupe utilisée pour les libations rituelles et qui aurait pu, de fait, correspondre à notre Graal chrétien mais il semble, qu’en l’occurrence, il s’agisse plutôt d’un globe.
Zeus tenant une phiale
En effet, une sculpture du musée lapidaire Calvet, en Avignon, représentant le Héros-Cavalier montre bien le globe tenu en main… en l’absence de lance toutefois. Le bas-relief fut découvert dans les environs d’Istanbul, en Turquie.
Il est intéressant de mettre en perspective cette représentation du Héros-Cavalier avec celle de Mithra (qui lui fut associé par la suite) mais, également, avec celle de l’Empereur Charlemagne se trouvant au musée du Louvre
Le globe que porte fièrement Charlemagne est « l’Orbe crucigère » qui représente l’autorité suprême.
Le fait que le Chevalier de la dalle de Rennes-le-Château porte, à la fois, le globe et la lance ne laisse pas de poser question.
Par la suite, le Héros-Cavalier thrace sera « récupéré » dans la statuaire médiévale chrétienne afin d’être assimilé à Saint-Georges. Je pense que cet emprunt date du XII° siècle car, ainsi que l’indique M. André Lapeyre en 1936, dans un article du « Bulletin Monumental » de la Société Française d’Archéologie : « La première représentation à date certaine (de Saint-Georges) est une monnaie à légende grecque du régent Roger d’Antioche datant de 1112-1119 dont le dessin est tout oriental ».
Monnaie de Roger de Salerne, régent de la principauté d’Antioche de 1112 à 1119
Cette représentation originelle de Saint-Georges au dragon sera reprise par le Chevalier du Temple Guillaume de Gonesse pour figurer sur son sceau personnel. Il me semble utile de signaler que Guillaume de Gonesse était à Dijon, en 1255, cité comme « Praeceptor passagii Templi » c’est-à-dire « maître du passage » ou « précepteur de maison », un dignitaire templier chargé de l'acheminement des ressources et des hommes vers la Terre Sainte.
Sceau de Guillaume de Gonesse - 1255 (Archives municipales de Dijon)
En terme de « passage », nul doute que celui est définitivement établi au XIII° siècle entre le Héros-Cavalier oriental païen et le Saint-Georges des Chevaliers chrétiens.
Le bas-relief figurant sur le tympan de la façade principale de la Cathédrale de Ferrare reprend bellement les canons esthétiques et symboliques attachés désormais à Saint-Georges, archétype du Chevalier chrétien.
Dans un article intitulé : « La dalle des Chevaliers… un objet unique », paru dans le bulletin de « L’Association RLC – doc » le 1er novembre 2017, Patrick Mensior publiait une étude très édifiante des chercheurs allemands Holger Carow et Patrick Jokl, lesquels avaient établi un parallèle judicieux autant qu'inédit entre le motif au cavalier de la dalle de Rennes-le-Château et celui figurant sur un bas-relief du porche de l’église orthodoxe de Bet Maryam située à Lalibäla, en Ethiopie.
Une fois encore, Patrick Mensior avait anticipé et flairé la bonne piste. Cependant, puisque l’église de Bet Mayriam date du XII° siècle, cette reprise du Héros-Cavalier thrace, contemporaine de celle figurant sur la monnaie de Roger de Salerne régent d’Antioche, n’est pas la plus ancienne.
En effet, un support de « claustra » au motif du Héros-Cavalier, visible au musée archéologique d’Oviedo en Espagne, semble plus vieux d’au moins deux siècles puisque les conservateurs estiment que ce support est antérieur à l’an 1000, même s’ils hésitent à avancer une datation formelle pour chacun d’entre eux.
Support de claustra au Chevalier à la lance – Musée d’Oviedo
Si cette dernière représentation ibérique est antérieure de deux siècles à celle de l’église éthiopienne et d’un siècle au « modèle initial chrétien », c’est-à-dire à la monnaie de Roger d’Antioche… que dire alors de « notre » Chevalier de Rennes-le-Château ?
Car, après tout, il date, lui, du VIII° siècle si l’on en croit les précisions données par Mme Brigitte Lescure dans son mémoire de maîtrise en date de 1978.
La « dalle au Chevalier » - qui est en réalité une plaque de chancel - fut retrouvée à demi enterrée et retournée par l’abbé Bérenger Saunière lors des travaux effectués dans son église en 1886. Il semble que la procédure qui constituait à se « débarrasser » de la sorte du mobilier ancien aux alentours de l’an mil ne soit pas un cas isolé. En effet, les fouilles opérées en 2003 au pied du chevet de la cathédrale de Bayeux (14) ont révélé la présence d’un exceptionnel bâtiment d’époque carolingienne dans lequel une pierre était posée à plat, en guise de seuil. De format rectangulaire, elle fut retournée et dévoila une face sculptée qui permit de l’identifier « en tant que plaque de chancel carolingien placée là en remploi ». (Bayeux. Une plaque de chancel carolingien -Florence Delacampagne,Xavier Savary - Bulletin Monumental, année 2009).
La pose de ces plaques de chancel correspondait, semble t-il, à l’œuvre de rénovation religieuse prescrite par l’Empereur Charlemagne afin que les laïcs ne puissent se rapprocher de l’autel.
Antérieure de près de 3 siècles à la première représentation chrétienne du Héros-Cavalier thrace sur une monnaie d’Antioche, la « dalle des Chevaliers » de Rennes-le-Château semble bien en constituer la première représentation occidentale… et ce n’est pas là une mince découverte. Comment (et pourquoi) cette thématique païenne fut elle réemployée pour la décoration d’un édifice paléochrétien dans le Razès ?
Un embryon de réponse pourrait être trouvé dans l’étude du Docteur Jean Fromols intitulée : « Découverte d’une plaquette danubienne à Port-sur-Saöne » (1958) puisqu’il y indique : « La figuration du Dieu cavalier danubien thrace semble avoir servi aux autochtones gallo-romains comme modèle d’une Epona celtique ressuscitée après la fin du 2° siècle en même temps que d’autre dieux de la théogonie celtique. L’adaptation d’images de divinités d’un culte par les zélateurs d’un autre culte n’est pas rare. Nous voyons bien le « cavalier thrace » devenir plus tard dans l’art byzantin et copte un Saint-Georges dragoctone après avoir figuré auparavant comme Bellérophon abattant la chimère ou encore comme Horus ou Hélios à cheval. Constantin 1er ne fit-il pas ériger à Constantinople un monument glorifiant le Christ sous l’aspect d’Hélios ? »
Le « Héros-Cavalier » thrace est une divinité de premier plan, venue primitivement d’Anatolie dans les Balkans et dont le prestige s’est développé aux époques hellénistique et romaine avant de séduire la spiritualité et la symbolique chrétienne.
Mais le fait qu’on en retrouve l’une des traces originelles sur la « Colline Inspirée » ne peut que contribuer à renforcer, s’il en est encore besoin, l’aura magique qui nimbe la belle « affaire des Deux-Rennes ».
Merci à Patrick Mensior et Andra Gunetis
Aronnax - 7 septembre 2020 |